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mercredi 27 juin 2012

2012 - Melody Gardot Vs. Norah Jones - The Absence Vs. Little Broken Hearts - Review / Chronique



The Absence by Sabrine Carrein on Grooveshark

Aucune n'a réellement besoin de promotion pourtant je ne pouvais passer sous silence le retour des deux jeunes "divas" du "jazz". L'une a fait du chemin, l'autre en est encore à ses balbutiements vu que sa carrière a démarré quelques années plus tard ; l'une est arrivée à un point d'excellence que l'on attendait d'elle depuis ses débuts, l'autre a dégringolé de son estale. Je les attendais avec impatience et le moins que l'on puisse dire c'est que leur album respectif m'ont grandement étonné. Bref, de quoi alimenter un billet. Souvent les médias font le rapprochement entre Norah et Melody sans même savoir ce dont ils parlent. En effet, mis à part les débuts jazzy feutrés respectifs des deux artistes, rien dans leur carrière ne peut donner à matière à comparaison. Cependant, cela m'amuse de reprendre cette idée (foireuse) et de pouvoir alimenter un billet les mettant face à face. Melody Gardot, je la connais depuis très longtemps, dès la sortie confidentielle de son mini album Some Lessons - The Bedroom Sessions. Je ne suis pas seulement tombée sous son charme, j'ai été subjuguée par son magnétisme, par sa sensualité exacerbée, par sa beauté.

Quand j'ai su que son  premier Lp était disponible en Belgique et en France, je me suis précipitée chez mon disquaire, je l'ai commandé, j'ai bien cru qu'il me prenait pour une folle tant j'insistais car à cette époque le grand public ne connaissait pas encore Melody Gardot, surtout en Europe et en particulier en Belgique. Quelques mois après, il devenait l'une des meilleures ventes d'albums en Belgique et en France. Je suis tombée en amour avec Worrisome Heart, c'est l'un des meilleurs débuts de 2008 et il contient en son sein l'une des plus belles chansons jamais entendues avec Love Me Like A River Does. Bref, j'étais sur mon nuage. En une demi heure de musique, elle proposait un univers jazz/blues/pop de grande beauté et sobriété. Ensuite, les choses se sont sans doute gâtées avec le recul. A première vue My One And Only Thrill (2009), qui l'a consacré, en tous les cas en francophonie, comme l'une des plus prometteuses jazzwomen de sa génération, est un opus de jazz soyeux et précieux, divinement arrangé de façon philarmonique mais à y regarder de près l'émotion présente n'était plus vraiment aussi intense que sur son premier Lp même si cela n'enlève en rien la beauté extrême de cette deuxième galette de papier glaçé. Depuis la sortie de  My One And Only Thrill, la jeune femme fait l'objet d'un matraquage marketing. Universal a flairé la bonne affaire et on a dégusté du Melody Gardot à toutes les sauces (des pubs, des pubs et encore des pubs). Non que la crédibilité de l'artiste s'en trouve affectée mais j'en ai rapidement conclu que le prochain album donnerait lieu à des stratégies de promotion savamment orchestrées, on ne lâchera pas cette perle si facilement surtout que le jazz vocal féminin tout doucement se tasse sur la scène internationale.

Et ce qui devait arriver arriva. Depuis quelques mois, sur le web on se retrouve assailli par des vidéos mettant en scène une Melody Gardot à la fois mystérieuse et sensuelle, nue sur la plage, nue avec sa guitare pour la marque de joaillerie et d'horlogerie Piaget. Bref, si au départ je n'ai rien vu venir j'ai tout de même trouvé que quelque chose clochait relativement vite. Dans tous les articles concernant ce fameux dernier opus, c'était toujours la même litanie servie : la jolie Melody a voyagé en Amérique du Sud, en France, en Mongolie (pour de rire) blablabla par conséquent The Absence était sensé découler de ces expériences nomades. J'ai commencé à me sentir mal, encore une enième artiste influencée par l'Amérique latine, bon les trois quarts des artistes féminines de jazz vocal semblent avoir attrapé le virus mais après tout si la talentueuse Melody arrive à capter les atmosphères particulières de la samba, du fado, de la bossa pourquoi pas ? Cela peut donner quelque chose de passionnant. Sauf qu'il n'en est rien, The Absence à la première écoute s'avère plutôt agréable mais la mauvaise surprise vient au fil des écoutes.

Celui-ci s'avère décousu, édulcoré voire même désincarné. Melody Gardot se serait-elle arrêté aux hôtels de luxe sans même prendre le temps de découvrir le coeur de ces pays ? The Absence manque cruellement de passion, de profondeur et d'authenticité, il me fait penser à ces cartes postales réservées aux touristes, il plaira aux bobos parisiens à n'en pas douter, sa jolie pochette pouvant détourner l'attention pendant une minute mais le constat est amer : loin d'être un mauvais album il est bien pire : inintéressant. Je n'y retrouve plus la Melody Gardot des débuts : troublante et passionnée, elle chante trop bas et ce sans aucune précision alors que c'est ce qui la caractérise à la base : un phrasé impeccable et habité semblant retenir un barrage d'émotions. Les compositions de The Absence sont en dents de scie : on y retrouve un mix des deux premiers Lp : les bluesy If I Tell You I Love You et Goodbye qui remémorent pour le meilleur Worrisome Heart ; les sympathiques mais déjà vus So Long, So We Meet Again My Heartache, Impossible Love, le rêveur Lisboa et le sublimement stylé et angélique My Heart Won't Have It In Any Other Way qui pourraient être rapprochés de My One And Only Thrill sans oublier la présence de morceaux folk/world/jazz sans beaucoup de saveurs : mis à part l'émouvant Se Voce Me Ama en duo avec Heitor Peirera (ce dernier étant aussi le producteur et arrangeur de The Absence) le joli Mira, l'inoffensif Amalia et l'infâme Iemanja qui pourrait figurer sur une BO d'un Disney. Et si l'on pousse le vice, on peut se procurer les bonus tracks disponibles sur i-tunes proposant des versions acoustiques toujours sans intérêt et une reprise de La Vie En Rose qui ne décolle jamais. Voilà de quoi parfaire la grande déception qu'est The Absence dont la grande absente est sans conteste sa propriétaire, uniquement sur papier hélas, mille fois hélas.







Little Broken Hearts by Sabrine Carrein on Grooveshark

Norah Jones, je l'aime dès que j'ai eu l'occasion de la découvrir, un peu après tout le monde, j'ai surtout aimé sa voix de velours, j'avoue que ses albums jusqu'à 2007 et la sortie de Not Too Late ne m'ont pas plus enthousiasmée plus que cela. Je les trouvais très agréable mais un peu trop frêles et légers par moments. Plus le temps passe et mieux il fait son oeuvre, Norah Jones est comme le vin, elle se bonifie avec le temps et puis quoi de plus logique, une carrière musicale relève davantage du marathon que d'un 100 mètres. A partir de Not Too Late, la jeune femme, au charme irrésistible, a pris sa carrière en main en signant désormais le plus souvent seule ses compositions et cela s'est de suite ressenti. A côté, elle forme avec quelques amis musiciens le collectif hyper sympathique The Little Willies, lesquels ont sorti deux opus dont le dernier en date For The Good Times, chroniqué de façon positive par ici sans oublier son échappée rocambolesque et incognito avec deux compères sur El Madmo. Norah Jones ose aussi pas mal de collaborations avec des rappeurs, avec des rockeurs, toujours avec beaucoup de succès, elle arrive à se fondre dans (presque) n'importe quel moule. Et, cela peut être ou non le problème.

Quelle est la vraie personnalité de Norah Jones ? Alors que cela fait un bout de temps qu'elle s'est éloignée d'une musique à la personnalité jazzy au sens plus ou moins stricte du terme, j'ai toujours eu du mal à la cerner, elle réussit tout ce qu'elle entreprend mais elle m'a toujours donné l'impression de ne pas avoir encore donné le meilleur d'elle-même comme si quelqu'un ou quelque chose la retenait. Elle a franchit un pas vers sa désaliénation d'image de jazzwoman (trop ?) propre sur elle avec son quatrième (cinquième si l'on considère First Sessions) opus The Fall (2009). Elle a fait sortir les guitares électriques (en douceur tout de même), son écriture est devenue plus acérée et noire, elle s'est même dirigée vers des sucreries pop entêtantes avec l'inoubliable Chasing Pirates, bref à défaut d'une réelle révoluation musicale, Norah Jones s'est échappée définitivement de l'univers pop/jazz quelque peu aseptisé de ses si charmants débuts. Son nouvel opus était plus qu'attendu afin de mieux savoir dans quelle direction Norah Jones se dirigerait cette fois-ci et si cela lui réussirait encore davantage. Après sa participation vocale sur l'album Rome de Danger Mouse et de de Daniele Luppi en 2011, les choses ont évolué de façon naturelle vers une collaboration plus poussée avec Brian Burton alias Danger Mouse qui n'est pas un inconnu : il est la tête pensante des Gnarls Barkley, il a produit le meilleur des The Black Keys ou encore l'avant-dernier opus de Martina Topley-Bird. Il est devenu un poids lourd au titre de producteur, sa patte musicale étant plus qu'évidente, elle est géniale.

Je ne trouvais pas cette association fondamentalement heureuse même si Rome est un album réussi. J'adore Danger Mouse mais j'avais peur que sa signature prenne le pas et étouffe celle plus fragile de Norah Jones. Fin avril 2012, Little Broken Hearts naquît de leurs amours musicales, et moi qui étais dubitative au départ ne pu que me résoudre que cet album était une bombe, le meilleur de Norah Jones avait enfin été dévoilé, la toute grande artiste que j'attendais depuis un moment a enfin explosé. Au-delà de la sublime pochette, rendant hommage indirectement à Mudhoney de Russ Meyer, Norah Jones étonne du début à la fin et l'aide Danger Mouse n'y est sans doute pas étrangère. Alors que The Fall se voulait plus mature, il avait le désavantage de plomber par moments l'atmosphère, mais il n'en est rien avec Little Broken Hearts qui certes puise sa thématique sur les peines de coeur mais ne se révèle jamais lourd ou trop sombre. Et c'est ici que l'association Danger Mouse et Norah Jones s'avère brillante : la production est toujours ronde, légère, rêveuse et scintillante, on ressent bien la touche de Brian Burton mais c'est le travail d'écriture et vocal de Norah Jones qui constituent les grandes avancées artistiques pour la jeune femme new yorkaise de coeur. Elle chante enfin avec ses tripes (et moins sa tête, elle avait tendance à intellectualiser de trop ses vocalises) si je puis dire, pour la première fois, elle partage ses émotions avec plus de punch et de modernité, le mur qui faisait en sorte qu'on la trouvait comme coincée dans  sa tour d'ivoire est (enfin !) tombé, elle a dépassé le cadre scolaire pour devenir une artiste avec un grand A.

Il est vrai que Little Broken Hearts s'avère plus pop (vintage) mais c'est très réducteur comme approche, ses couleurs musicales lorgnent également vers la dream pop et le blues, les compositions qui s'y retrouvent ne sont pas que solides, elles sont géniales : le groovy Good Morning débute de façon cotonneuse cet opus, une ouverture douce amère avec une touche d'onctuosité dans les arrangements vaporeux. Say  Goodbye est la première petite bombe pop à se dévoiler et sur laquelle plane de façon trouble et troublante la voix de Norah Jones. L'ambiance americana futuriste qui emplit le titre éponyme révèle de facçon sublime un texte profond et imagé sur les coeurs brisés. Si de prime abord She's 22 semble anodin, il possède une force mélancolique et entêtante incroyable. Je dirais simplement que cette ballade habitée est l'une des meilleures de l'opus. On reste dans le meilleur avec Take It Back, un morceau sombre, prenant voire carrément frissonnant. After The Fall est le morceau le plus exotique et original de Little Broken Hearts. Entre reggae et blues, il fascine de par son aspect à la fois indolent, sérieux et par dessus-tout grâce à l'interprétation soyeuse de Norah Jones qui fait rêver. Je suis fanatique de ce titre.

4 Broken Hearts, de la même façon que le titre éponyme, pose ses guêtres dans un univers folk américain qui relève d'une autre dimension, un titre puissant aux choeurs fantomatiques de toute beauté. Sublime. L'utilisation du violoncelle donne un aspect mystérieux et majestueux à Travelin' On tandis qu'Out On The Road renoue avec des sonorités vintage et cowboyesques nous permettant de nous évader loin. Happy Pills est le premier single de l'opus, je l'ai toujours trouvé sympathique mais pas extraordinaire cependant dans le cadre de l'opus, il s'intègre mieux à mon imaginaire. Un petite délice glamour et arrangé de façon astucieuse.  Miriam est le meilleur morceau de l'opus : une mortellement belle et amère et pourtant si délicate et planante. Un bijou. All A Dream clôture sur une note planant et en apesanteur, à l'image de cet album extrêmement enthousiasmant.  Si vous avez la chance de vous procurer la version deluxe de cet opus, vous aurez l'agréable surprise de tomber sur deux morceaux étonnants : le blues/pop/rock I Don't Wanna Hear Another Sound et le très sexy Killing Time. Voilà de quoi parfaire une brillante réussite. Un  must have de 2012. 18,5/20.





4 commentaires:

Gil a dit…

J'adore également ce nouvel album de Norah Jones. On pourrait dire que je ne suis pas objectif, puisque j'apprécie ce qu'elle fait depuis ses débuts, à l'exception de The fall... Qui pour moi portait du coup bien son nom.
je suis ravi de ces petits coeurs brisés, en tout cas !

Mdkart a dit…

Belle revue croisée!
En effet, Little Broken Heart est une vraie merveille! Norah Jones continue à explorer de nouveaux horizons, sans chercher la facilité. Elle le fait avec brio et continue à nous surprendre!

A contrario, The Absence est une petite déception pour moi également. Peut-être en attendait-on un peu trop.
Un peu le cul entre 2 chaises (musique du monde et jazz), il ne va pas assez au bout des choses dans aucun des 2 registre. Il laisse un goût d'inachevé, un peu amer quand on compare avec ce que Melody est capable de faire.
Espérons qu'elle reprenne les choses en main sur scène et par la suite en studio.

Margotte a dit…

Le matraquage concernant le nouvel album de la belle Melody a de quoi mettre la puce à l'oreille. Même le Télérama s'est fendu d'une première de couv, c'est dire !... Je suis bien contente d'avoir lu ton billet car sans trop savoir pourquoi, j'étais un peu méfiante... et n'avais pas encore ouvert mon porte-monnaie.
Je suis la belle Norah depuis ses débuts et après avoir écouté son album chez toi, c'est décidé, c'est elle qui remporte la palme ! bon we à toi

Fritz a dit…

Très belle chronique; belle juxtaposition. Je dois avouer ne pas avoir suivi de près la carrière de Nora après son 1er album, ayant des doutes sur sa démarche artistique. Je vais y remédier...

Du coup, quelle note as-tu attribuée à ''The Absence''?

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