2010 - Sade - Soldier Of Love - Review - Chronique du retour gagnant d'un mythe

Le groupe Sade est l'un des trop rares groupes issus des années 80's à avoir réussi à garder son aura intacte. Pour étayer cette assertion, leur musique soul feutrée aux saveurs jazzy, digne du plus classe piano bar existant en ce bas monde, représente au final l'un des souvenirs les plus exquis de cette décennie passée qui semble sans cesse être réduite à des clichés véhiculés et ravivés récemment par les artistes en panne évidente d'inspiration musicale. Entre 1984 et 1992, Sade Adu au chant, Stuart Matthewman à la guitare et au saxophone, Paul Denman à la basse et Andrew Hale aux claviers, se sont montrés prolifiques : quatre albums devenus des références de la soul moderne et, qui plus est, ont rencontré un succès public considérable sans vraiment, au départ, la reconnaissance des professionnels. Ces derniers se sont montrés plutôt dubitatifs devant ce petit groupe de musiciens, véritable ovni musical, débarqué de nulle part sur une scène musicale britannique envahie par le pop/rock façon new wave (U2, The Cure, etc.) ou romantique (The Smith, Depeche Mode, etc.)

Dans le cadre de la chronique de leur sixième album Soldier Of Love autour duquel s'est créé depuis la fin de l'an passé un buzz de grande amplitude, j'ai pris la décision lourde de sens de dépoussiérer leur discographique studio qui prenait la poussière sur mes étagères à cd's. Après écoute attentive de ces albums, ce qui m'a le plus frappée c'est le caractère intemporel de leur musique. Leur premier opus Diamond Life (trois tubes : Smooth Operator, Your Love Is King et Hang On To Your Love) qui date de plus de 25 ans (date de sortie : 1984) est à l'image de l'apparence physique de sa charismatique chanteuse, aucune ride n'a osé s'y déposer. La chaleur et la sensualité du saxophone de Stuart Matthewman, le grain de voix grave et satiné de Sade Adu, les ambiances jazzy luxuriantes et veloutées sont autant d'atouts majeurs qui forment la signature musicale de ce groupe devenu une légende vivante. Promise (1985) dépassera le caractère déjà exceptionnel de son prédécesseur Diamond Life en se montrant plus abouti et mature. Un chef d'oeuvre qui contient les hits Is It A Crime, The Sweetest Taboo, Jezebel ou encore le titre urbain Never As Good As The First Time qui sort le groupe du cadre feutré et soyeux associé au genre piano bar.

Stronger Than Pride (1988) représente un tournant musical assez important pour être souligné : l'instrumentation devient plus moderne, aérée (on constate la presque disparition des cuivres) et exotique et les ambiances instaurées plus sobres et légères. Si Love Is Stronger Than Pride et Nothing Can Come Between Us en sont les dignes représentants, ce sont les ballades Haunt Me et I Never Thought I'd See The Sun qui en sont les joyaux secrets. 1992 est une année phare pour le groupe, la sortie de Love Deluxe représente, à mon sens, la quintessence de la soul moderne. Le chef d'oeuvre absolu et mon album de soul favori for ever and ever. A l'image de cette ouverture extraordinaire No Ordinary Love d'une beauté, élégance et voluptuosité à couper le souffle. L'alchimie entre la chanteuse, les musiciens et les atmosphères vaporeuses dreamy lovers est à son paroxysme. La délicatesse des ballades poignantes Like A Tattoo et Pearls, l'élégance de Kiss Of Life, la douceur angélique et aérienne de Cherish The Day ou encore l'instrumental Mermaid qui rappelle les eaux turquoises et troublantes des plus belles plages du monde achèvent de convaincre l'auditeur de vertus aphrodisiaques du groupe.

On ne s'attendait pas à une attente de cette importance pour découvrir le cinquième opus Lovers Rock (2000) de ce groupe disparu des radars pendant huit longues années. De nouveaux changements sont apportés à leur univers musical autrefois abondant, sensuel et feutré. La voix, et par conséquent l'interprétation, de Sade Adu semble être devenue la principale attraction de de leur musique. L'instrumentation devient plus sobre, subtile et définitivement tournée vers la modernité (R&B, rythmiques hip hop plus présentes, etc.). La mélancolie et les désillusions sont désormais les principaux thèmes et ambiances instaurés par le groupe qui semble plus renfermé et intimiste que jamais entre douces ballades ou complaintes (By Your Side, King Of Sorrow, Somebody Already Broke My Heart, etc.) et une jolie expérimentation avec le dub reggae de Slave Song. Un album retour, en mode mineur, très convaincant qui appelle cependant plusieurs écoutes afin de l'apprivoiser et d'en saisir la valeur profonde.

Comme le délais d'attente semble s'accroître au fil des sorties d'albums studio, il ne sera guère étonnant d'avoir, au final, attendu dix longues années pour donner vie au successeur de Lovers Rock. Une attente que peu d'artistes peuvent se permettre à l'heure actuelle mais leur fan base plus importante que jamais a répondu à l'appel irrésistible de Soldier Of Love sorti en février 2010, lui réservant un succès immédiat au top de tous les charts du monde entier. Pourquoi ce succès ? La réponse est simple : le buzz énorme qui a enflé avec l'apparition du premier single ravageur Soldier Of Love qui s'avère le morceau le plus explosif du groupe depuis Ordinary Love en 1992. Un titre brutal nerveux, acéré, à la tessiture rock. Une petite révolution pour ce groupe qui a tendance, le plus souvent, à se retrancher dans des sphères musicales plus ouatées. Cependant (et ce fut une déception en premier lieu), ce morceau n'est en rien représentatif rythmiquement parlant par rapport au reste de l'album. La texture de cet album est moins homogène que sur Diamond Life (1984), Promise (1985) ou encore Love Deluxe (1992), les trois pierres angulaires de la discographie du groupe mais se retrouve plutôt dans la lignée de Stronger Than Life (1988) et Lovers Rock. Des albums qui préfèrent explorer diverses sonorités et qui abordent des atmosphères plus complexes et sobres.

Le constat après les quelques écoutes intégrales de Soldier of Love est simple : l'humilité qui se dégage de leur musique, alors que le groupe accuse un quart de siècle au compteur, est ahurrissante. Je ne dis que que le groupe est resté égal à lui-même (ce qui aurait une connotation assez négative), non, en réalité, le groupe se renouvelle de façon subtile par petites touches et nuances, comme un maître d'oeuvre soucieux de son art. Après la douceur amère en filigrane sur Lovers Rock, Le ton de ce nouvel album semble encore plus sombre et mélancolique, à l'image du premier morceau The Moon and The Sky qui allie parfaitement sonorités synthétiques et organiques (cordes). Nul besoin de repasser sur le single jouissif Soldier Of Love car de toute façon l'adrénaline retombe rapidement avec Morning Bird. Très intimiste et minimaliste, ce morceau piano-voix, auquel s'ajoute quelques percussions, distille une très belle émotion et sobriété. Babyfather, censé être le second single de l'opus, s'oriente vers un R&B aux saveurs reggae délicates. Un titre doux et ensoleillé qui permet également de nous faire découvrir le charmant filet de voix de la fille nommée "Lla" de Sade Adu. Long Hard Home, est l'un des highlight de l'album, une ballade envoûtante et somptueuse dotée de l'improbable capacité d'arrêter le temps. Du très grand art. Petits moments de chaleur et de quiétude avec les roots et cosy Be That Easy et In Another Time qui sont tout simplement exquis. Entre les deux, l'ambiance vénéneuse du trip hop light véhiculé par Bring That Home joue le trouble fête de la plus belle façon qui soit. Ensorcelant. Skin pourrait être un leftover de premier ordre de Love Deluxe. Exotique et planant, il s'avère une merveille de sensualité, de douceur et d'apaisement. L'album s'achève sur The Safest Place une plage intimiste et boisée du plus bel effet.

Un sixième album studio de facture relativement classique mais qui reste superbe. Sans être un chef d'oeuvre, l'album est excellent. Une sortie soul indispensable de 2010.

Note Finale : 17/20

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